Historique : |
En 1896, Charles Cottet expose au Salon de l'Art Nouveau la série de toile qu'il a rapportée de Venise où il s'est rendu l'année précédente avant de partir pour l'Egypte. Thadée Natanson, chantre des Nabis, avec lesquels Cottet avait exposé en 1893 chez Le Barc de Boutteville, consacre un article dans la Revue Blanche à ses vues de la lagune vénitienne. Le premier voyage de l'artiste dans la ville italienne date de 1889 mais la toile de la collection Senn peut très vraisemblablement être datée du second voyage effectué en 1895. Elle est effectivement extrêmement proche par sa facture de deux oeuvres de la collection Matsukata, conservées au musée d'art occidental de Tokyo : Venise dans le brouillard et Coucher de soleil sur la mer (vers 1897). Il est très probable que Venise ait fait partie de l'exposition de l'Art Nouveau, tant les sensations qu'en rapporte Natanson caractérisent cette toile : " Ce n'est d'ailleurs pas Venise que son art décrit, ni sur Venise qu'il a pris des notes : pas la légendaire cité flottante, ni les canaux qui miroitent, ni la splendeur des palais que le soleil ardent recrée, ni les gondoles ni les pilots bariolés. Ce qui l'a occupé - et la plupart des toiles sont datées d'une île où Venise, indécise, se dessine moins qu'elle se devine par delà les flots et parmi les nuages - ce qu'il a observé, c'est la mer, la mer avec ses brumes, la mer et ses couleurs ardentes ou glacées de lumière, la mer dont Venise émane, mais surtout la mer avec ses nuages dont s'enroulent les oriflammes de toutes couleurs, les flots opalisés cendrés de jade ; les flots sombres, les flots sanglants, les ilôts éclatants, la gloire des flots (...) les flots aux reflets de métaux en fusion (...) " Charles Cottet a effectivement évité tout poncif, toute couleur locale de pacotille pour restituer des vues de Venise d'une grande originalité. En témoigne le tableau de la collection Senn, constitué dune bande maritime et d'une bande de ciel qui se rejoignent sur une ligne d'horizon presque impalpable sur laquelle l'artiste a déposé les silhouettes fantomatiques de la ville. L'oeil du voyageur reconnaît sans peine San Giorgio, la Salute, le Campanile, le Palais des Doges. Celui plus exercé de l'amateur qu'est Natanson s'attarde sur les étonnantes qualités plastiques de cette peinture : " Davantage, outre leur charme et la vivacité de leurs couleurs expressives, ces toiles renseignent sur la souplesse et la variété des nuances où peut se ployer et se joue la subtilité de palette du peintre qu'est M. Cottet. Observez en particulier le parti qu'une fois de plus il a su tirer des noirs et des gris, des noirs surtout, à qui il rend une place qu'on leur avait - quelque peu par système - supprimée. Il les réhabilite. La légèreté des couches, l'enlevé des teintes surprennent le plus, où, de loin, on imaginait presque des empâtements. Ses brosses étendent des voiles si impalpables qu'elles permettent à M. Cottet d'utiliser le grain de la toile. Nulle part cette simplicité transparente de sa palette ne semble avoir apparu aussi clairement. " Il est bien vrai que dans cette toile, le peintre se livre à un surprenant travail sur la matière. La texture de sa peinture est d'une telle fluidité qu'elle évoque sur tous les contours des bâtiments la technique du lavis. Des noirs feutrés, des gris à peine ombrés définissent délicatement les masses qui se colorent insensiblement de la pâle lumière du couchant. Le reflet des églises et des palais dans l'eau n'est qu'un miroitement informe mais d'une transparence qui fait songer aux glacis. Le fond de la toile a été uniformément brossé d'une sous couche grise, que l'artiste laisse apparaître en réserve dans son ciel et à l'intérieur des silhouettes des édifices. La partie centrale, le meilleur de cette oeuvre, offre une maîtrise d'exécution d'une rare finesse. J.-P. M. ; en rapport avec : Venise dans le brouillard
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