Historique : |
Arrivé en mars 1846 à Paris, à l'âge de 27 ans, Jongkind ne commence à peindre des vues de la ville que deux ans plus tard, en 1848 (Montmartre, collection particulière, Hefting 1975 n°44, Stein-Brame-Lorenceau-Sinizergues n°57). Dès lors, elle devient un thème récurrent dans son oeuvre. Les ponts, les quais offrent en particulier des sujets variés qu'il se plait, tout au long de sa vie, à peindre et dont il reprend inlassablement les points de vue en des séries offrant parfois quelques variantes. Ainsi, un même monument pourra-t-il être peint sous des angles différents, telle Notre-Dame prise du quai de Montebello, du quai de la Tournelle, du quai Saint-Michel. Mais c'est surtout sur les bords de la Seine qu'il aime à saisir la ville, comme au fil de l'eau. Les berges du fleuve fourmillent de motifs pittoresques : bateaux-lavoirs, machines à guinder, marchandises de toutes sortes mais aussi pêcheurs, bateliers, lavandières, promeneurs, charriers, hâleurs et leurs chevaux...Jongkind, familier, depuis la Hollande, de ces bords de rivières, se place sur les quais, au pied des ponts et saisit cette animation mais en la limitant à quelques scènes et à quelques silhouettes. Fidèle en cela à sa formation, Jongkind privilégie une vision de paysagiste qui le conduit à équilibrer sa composition générale et non pas à isoler telle ou telle curiosité. La part du ciel, les effets de lumière, les reflets du soleil dans l'eau comptent tout autant et Jongkind prend soin de composer harmonieusement chacune de ses vues. C'est le cas dans Bord de la Seine, le quai des Célestins et le pont Marie qui, daté de 1874, reprend une composition presque identique de 1869 (collection particulière, Hefting 1975 n°509, Stein-Brame-Lorenceau-Sinizergues n°584). Trois ans, puis cinq ans plus tard, en 1877 et 1879, Jongkind offrira deux autres versions très similaires (collections particulières, Stein-Brame-Lorenceau-Sinizergues n°781 et 813). L'oeuvre de la collection Senn est légèrement plus petite que les autres et peinte sur panneau. Les quelques variations concernent le cadrage (un peu plus large dans les autres, notamment à droite) et les figures sur le quai. Comme à son accoutumée, Jongkind se sert du fleuve pour diriger le regard vers le fond de la composition cependant que la silhouette du pont et de la ville ferme la perspective. L'horizon est bas sous un ciel lumineux. L'oeuvre est caractéristique des dernières années de l'artiste par cette petite touche nerveuse, presque pointilliste, utilisée en particulier dans des paysages aux effets lumineux dramatisés (clairs de lune, soleil couchant...). L'année où Jongkind peint ce Quai des Célestins, Nadar organise dans son atelier la première exposition du groupe des impressionnistes. L'artiste, qui a essuyé, l'année précédente, un refus au Salon, a décidé de ne plus participer à des expositions et ne se joint donc pas à ses amis. Le peintre se retire progressivement du monde agité de l'avant-garde parisienne et il quitte la capitale pour s'installer dans le Dauphiné en 1878, où il mourra quelques années plus tard. Zola, venu en 1872 visiter Jongkind dans son atelier parisien, notait avec plaisir : " Tout le monde connaît ses marines, ses vues de Hollande. Mais il est d'autres toiles qui m'ont ravi, qui ont flatté en moi un goût particulier. Je veux parler des quelques coins de Paris qu'il a peints dans ces dernières années [...] J'aime d'amour les horizons de la grande cité. Selon moi, il y a là toute une mine féconde, tout un art moderne à créer " pour conclure en disant " Cet amour profond du Paris moderne, je l'ai trouvé chez Jongkind, je n'ose dire avec quelle joie " (1) . (Annette Haudiquet) (1) Emile Zola, La Cloche, 23 janvier 1872, cité dans Adolphe Poitout, Johan Barthold Jongkind (1819-1891), vu par un ami de la famille Fesser. Manuscrit inédit de Louis Adolphe Poitout, rédigé entre 1893 et 1905-1910, Paris, Société des Amis de Jongkind, 1999, p. 129.
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