Historique : |
Considéré comme l'un des créateurs du paysage parisien, Stanislas Lépine élabore une oeuvre intime de style sensible qui le situe dans la lignée des peintres de Barbizon et à l'orée de l'Impressionnisme. Cet " unique et direct élève du divin Corot, le seul héritier légitime de sa manière (1)" mène une carrière discrète où l'humilité le dispute à la probité. Bien qu'il mette un point d'honneur à exposer régulièrement au Salon à partir de 1859, son travail reste longtemps confidentiel quoique apprécié de quelques grands collectionneurs comme le Comte Doria, Henri Rouart ou Ricada. C'est vraisemblablement à ce dernier qu'il doit l'obtention, à force d'intrigues, d'une mention honorable au Salon de 1884, puis d'une 1ère médaille à l'Exposition Universelle. Lorsque son talent est sur le point d'être officiellement reconnu à partir des années 80, Lépine, désireux de donner un coup de pouce à son destin, change quelque peu sa manière, en composant des oeuvres aux dimensions ambitieuses, susceptibles de mieux flatter les goûts du public. Le marché aux pommes. Quai de Gesvres et quai de l'Hôtel de ville près du Pont d'Arcole (115x172 cm, 1884-1888, Hiroshima, Museum of art) relève de cette nouvelle orientation dans sa peinture. La Seine avec vue du Panthéon est sans doute l'une des ébauches préparatoires au Marché aux pommes que Lépine expose au Salon des Artistes Français de 1889. Son support, un panneau de bois, plaide pour cette hypothèse car Lépine réservait ce médium à ses esquisses. Paradoxalement, c'est dans le tableau de la collection Senn, et non dans l'oeuvre définitive, que se manifeste la virtuosité du peintre. Le tableau de Salon, souffre d'une trop grande rigueur, d'une sécheresse d'expression et de la volonté avérée de cerner avec une précision un peu désincarnée les protagonistes de la scène qui se déroule sur le quai. A l'inverse, l'esquisse est douée d'une spontanéité qui laisse libre cours à la rêverie. L'imprécision brumeuse des silhouettes des immeubles et du Panthéon, les frondaisons cotonneuses des arbres, qui se confondent avec le panache de fumée que crache le vapeur, les rouges stridents qui relèvent l'ensemble s'apparentent au meilleur de l'artiste. Ici, comme dans la plupart de ses tableaux, l'activité humaine paraît accessoire, mouvement quotidien égal à celui du navire qui remonte la Seine, mais guère plus important que l'eau, le ciel ou les pierres. Scène banale, saisie sans intention littéraire ni démonstrative, dont l'artiste exploite encore les possibilités dans une toile largement cadrée, plus proche de l'oeuvre de Salon : Le marché aux pommes, quai de l'Hôtel de ville (Schmidt, n° 10). Plus poétique, La Seine avec vue du Panthéon n'en reste pas moins marquée par des ambitions classiques. Autodidacte, puis élève de Corot, Lépine reste redevable des grands principes de composition. Son décor est fermement planté, cantonné par les immeubles sur les côtés. La structure horizontale se compose de trois bandeaux qui occupent chacun un tiers de l'espace mais l'élancement vertical d'un mât vient contrebalancer, presque au centre, la rigueur systématique des horizontales. Avec cette vue empreinte d'une grande sensibilité, Stanislas Lépine mérite bien les éloges de Georges Lecomte qui voyait en lui celui apte à " ruiner le paysage académique, à prendre l'exacte notation de la lumière, de l'ambiance " et d'affirmer : " pour cela même, sa place doit être revendiquée parmi les promoteurs du mouvement qui a porté l'école moderne vers la peinture claire. " (Jean-Pierre Mélot) (1) Coriolis (pseudonyme de Georges Lecomte), cité par John Couper : Stanislas Lépine, sa vie, son oeuvre, Paris, Léonce Laget, 1969.
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