Historique : |
Pissarro vécut de nombreuses années à l'Hermitage, quartier rural de Pontoise, où champs, forêts et vergers dominent les berges de l'Oise. Il y résida une première fois, avant son départ pour l'Angleterre, de 1866 à 1868, où il peignit une série d'ouvres dont deux furent exposées au Salon de 1868 et saluée par Emile Zola : " Il y a deux merveilles au Salon cette année là.[.] La côte de Jallais. Un vallon, quelques maisons dont on aperçoit les toits au ras d'un sentier qui monte ; puis, de l'autre côté au fond, un coteau coupé par les cultures en bandes vertes et brunes. C'est là la campagne moderne. On sent que l'homme a passé, fouillant le sol, le découpant, attristant les horizons. Et ce vallon, ce coteau sont d'une simplicité, d'une franchise héroïque. Rien ne serait plus banal si rien n'était plus grand. Le tempérament du peintre a tiré de la vérité ordinaire un rare poème de vie et de force. "(1) (n°55 La côte du Jallais, 1867, MET New York ou le n°56, L'Hermitage à Pontoise du Wallraf-Richartz-Museum à Cologne). Au moment de la guerre de 1870 et sous la crainte de l'arrivée des troupes allemandes, Pissarro quitte la France et s'embarque pour l'Angleterre. Sans le savoir, une page se tourne et son séjour londonien ne fera que renforcer ses nouvelles orientations picturales. Il découvre l'ouvre de Turner lors de promenades à la National Gallery en compagnie de Monet, exilé lui aussi Outre-Manche. La magie lumineuse des ciels de Turner, sa vision poétique des éléments et le travail de Monet par petites touches rapides, ses recherches sur la lumière et ses reflets sur l'eau sont souvent invoqués pour expliquer le regard nouveau que porte Pissarro sur la nature. De retour en France, fort de ses nouvelles expériences, il quitte Louveciennes pour retrouver l'Hermitage de 1872 à 1882. Ce furent probablement les années de misère les plus dures de la vie de Pissarro mais ce furent des années d'une intense activité créatrice et d'échanges aux côtés de son ami Cézanne. Il va s'attacher aux motifs simples d'un chemin menant au village, aux travaux paisibles des paysans, aux côteaux morcelés par les cultures, les saisons venant rythmer de couleurs changeantes ce lieu paisible. Il ne s'intéressera que rarement aux maisons bourgeoises ou encore à l'église ou la ville toute proche de Pontoise déjà fortement industrialisée. Dans Le carrefour à l'Hermitage de la collection Senn, quelques silhouettes vaquent à leurs occupations quotidiennes à la croisée des chemins, un ciel lumineux ponctué de nuages rebondis fait vibrer les couleurs de l'automne. La composition est fortement calée entre le rideau d'arbres au bord du sentier sur la droite et par une grande bâtisse en partie cachée à l'extrémité gauche. La ligne d'horizon est rejetée en haut de la toile par-delà les collines. Ce faisant, Pissarro néglige la question des effets atmosphériques chère à Claude Monet pour se concentrer sur la structuration et l'harmonisation des différents plans en zones fortement colorées. Un rythme s'établit entre le vert des parcelles cultivées sur le côteau et les bruns rougeâtres de la terre des labours et du sentier. Jamais Pissarro n'avait atteint une vibration de la couleur aussi intense, ajoutant de l'orangé sur les toits en tuiles, accentuant ainsi l'éclat de l'ensemble. Pissarro écrivit à son ami Théodore Duret le 2 mai 1873 : " Il n'y a rien de plus froid que le plein soleil d'été, tout le contraire des coloristes, la nature est colorée en hiver et froide en été. " Dans Le Laboureur exécuté au printemps (PV 340, collection privée), les couleurs sont aussi variées et la façon de construire l'espace au moyen d'une touche ample et multi directionnelle n'est pas sans rappeler la manière de Cézanne au même moment. En cette année 1876, les couleurs se font brillantes et grasses chez Pissarro, sa touche, disposée en larges aplats simplifiés structure l'ensemble de la toile. Le voilà libéré de la touche légère de ses premières compositions impressio nnistes. Dans ses ouvres peintes à la fin des années 70, l'unité de la toile dépend moins du dessin- comme c'était le cas durant son premier séjour à l'Hermitage en 1868- que de la qualité tonale et de la densité de la couche picturale. La toile du Musée d'Orsay, Les toits rouges (PV 384), peinte l'année suivante marque une évolution stylistique et annonce les orientations des décennies suivantes. Nous sommes à l'Hermitage, les maisons aux toits rouges sont ici en partie masquées par un rideau d'arbres aux branchages squelettiques, les couleurs de l'automne resplendissent cependant que la touche se fait papillonnante. Pissarro cesse de tendre vers une immobilité de l'instant pour développer une facture rapide et tumultueuse qui va céder à l'éblouissement de la couleur lumière si caractéristique des oeuvres peintes à Eragny. Géraldine Lefebvre (1) Extrait d'un texte paru dans L'Evènement illustré, mardi 19 mai 1868, p.3. C'est le troisième article de la série intitulée " Mon Salon ".
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