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Le 18 septembre 1882, Pissarro, alors qu'il doit quitter à regret Pontoise pour des questions financières, écrit à son ami Monet qui cherche une maison à louer dans les environs : " Le pays est très sain, à mi-côte surtout et sur les côtes ; dans le bas, le long de l'Oise, il y règne des brouillards ; les maisons sont bâties dans des marais desséchés. " (1) Nous sommes sur les bords de l'Oise, sur le quai du Pothuis qui fait face à l'île du même nom qui s'étire en longueur sur le côté gauche de la toile, en contrebas de la vieille ville de Pontoise qui se dessine dans le lointain. Pissarro ne s'éloigna guère de chez lui pour peindre cette toile ensoleillée d'une fin de journée d'hivers. Il vécut au 85 bis de ce quai de l'été 1881 à la fin novembre 1882, dans une maison proche des passants qui s'éloignent au premier plan. Au fond le pont qui enjambe l'Oise pour relier les deux rives, l'hôtel-Dieu juste derrière et la vieille ville se confondent dans une harmonie de gris argentés. La ville nous apparaît dans l'ombre, silhouette incandescente, alors que le soleil irradie de ses derniers rayons les berges de l'Oise. C'est en 1867, lors de son premier séjour à l'Hermitage, que Pissarro peint le quai du Pothuis pour la première fois dans une oeuvre conservée au Musée de Tel Aviv, puis de nouveau l'année suivante (Mannheim, Kunsthalle, PV60). Ces deux tableaux sont composés de la même manière, suivant la diagonale de la rivière mais dans une vue plus rapprochée sur le pont de Pontoise et sur la ville. On remarque son intérêt pour les volumes, pour les contrastes marqués entre ombre et lumière, une construction perspective très accentuée qui se focalise sur la ligne d'horizon sombre qui se détache sur un ciel lumineux. Dans ces deux vues, les passants vaquent à leurs occupations et créent l'animation sur le quai. Il semble que le Quai du Pothuis fasse partie des oeuvres que Pissarro envoya à Durand-Ruel avant l'ouverture de la VIIème Exposition des Impressionnistes en mars 1882. Dans une lettre au marchand, Pissarro précise pour chacune des cinq toiles envoyées, leur titre et leur prix.(2) Sous le numéro 3, s'inscrit Le Quai du Pothuis (Bord de l'Oise) ; il s'agit très probablement de l'oeuvre de la collection Senn puisque aucune vue comparable ne fut réalisée par Pissarro cette année-là. Au même moment, l'artiste concentre ses recherches sur la figure démentant ainsi l'opinion qui considérait qu'il ne fût qu'un peintre de paysage. La figure qui autrefois s'intégrait au paysage, silhouette à peine esquissée, devient monumentale à partir des années 1880. Le Quai du Pothuis est une toile orpheline par son sujet mais tout a fait comparable sur le plan stylistique aux oeuvres de la même période. Dans ce tableau, ce qui intéresse Pissarro, ce sont les effets atmosphériques. La brume qui enveloppe toute chose. Les éléments fusionnent sous le soleil couchant qui teinte d'un rose doré le ciel, la terre et l'eau. La touche se fait plus petite, vibrante. Les passants vus de dos et à contre-jour se fondent dans cette magie colorée et donne toute son intimité à l'oeuvre. Pissarro cherche non plus à décrire un lieu mais à recréer l'atmosphère qui s'en dégage. C'est en 1885 que Pissarro, installé à Eragny, prend conscience du nouveau style qu'il a adopté : " Je suis d'autant plus accablé de ne pas terminer ces études que je suis en voie de transformation et que j'attends avec impatience un résultat quelconque. J'espère cependant faire un petit progrès. Je vous prie de croire que cela me cause bien du tourment ; c'est évidemment une crise e annonce les peintures urbaines de Pissarro peintes en séries durant les dix dernières années de sa vie. Des vues de ports dès 1896- Rouen, Le Havre, Dieppe- ou des vues de grands boulevards depuis la chambre d'un hôtel, l'avenue de l'opéra qu'il peignit en 1898 ou les ponts à Paris. La collection initiale d' Olivier Senn renfermait cinq tableaux de Pissarro de grande qualité tous et appartenant aux différentes évolutions du travail de l'artiste. Il possédait également un tableau intitulé La statue d'Henri IV, matin, soleil (PV 1171, daté de 1901) qu'il peignit sous tous les temps depuis la maison à l'angle du boulevard Henri IV où il s'éteignit le 13 novembre 1903. Les trois tableaux de la collection actuelle et celui-ci furent présentés à la première grande rétrospective de l'oeuvre pour Le Centenaire de la naissance de Camille Pissarro en février-mars 1930, au musée de l'Orangerie- première consécration officielle de l'artiste. Le critique Gustave Geffroy portait une grande admiration à ces vues urbaines qu'il commenta à la suite d'une exposition chez Durand-Ruel en 1898 : " Les villes ont une physionomie particulière, passante, anonyme, affairée, mystérieuse qui doit tenter le peintre [...] L'air que nous respirons est enfermé dans ces cadres, à nous donner l'émotion de nos rues boueuses, de nos pluies, de nos avenues qui vont se perdant en une perspective de brume [...] A plusieurs reprises, ce combat social visible dans les allées et venues inquiètes de la rue, est aperçue et résumée par Pissarro, et c'est une des beautés de cette série de toiles que la représentation de l'agitation fatale des vivants parmi ces décors d'un jour. " (4) Géraldine Lefebvre (1) Lettre de Pissarro à Monet, Paris, le 18 septembre 1882. Correspondance de Camille Pissarro, Editions du Valhermeil, 2003, tome 1, p. 165, 166. (2) Lettre de Pissaro à Durand-Ruel, Pontoise, [février 1882]. Correspondance de Camille Pissarro, Editions du Valhermeil, 2003, tome 1, p. 156. (3) Lettre de Pissarro à Durand-Ruel, Eragny-sur-Epte, s.d. [juin-juillet 1885]. Editions du Valhermeil, 2003, tome1, p. 336. (4) G. Geffroy, La vie artistique, VI, Paris, 1900.
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