Historique : |
En 1913, Paul Sérusier reprend la décoration de sa maison de Chateauneuf du Faou. Dans le vestibule, il juxtapose des scènes égyptiennes et des signes du Zodiaque. Cette iconographie éclectique s'accorde avec les décors réalisés en 1909 pour la salle à manger qui mêlaient sujets bachiques et motifs tirés de Gargantua. Selon son ami Maurice Denis, Sérusier lisait peu mais affirmait connaître parfaitement la Bible, la Comédie Humaine et Rabelais . Si ce dernier fait allusion à Corydon dans Pantagruel, c'est cependant de façon très marginale, lorsque son héros raconte la mort du Dieu Pan : " (...) Pan, le grand pasteur qui comme atteste le bergier passionné Corydon, non seulement a en amour et affection ses brebis, mais aussi ses bergiers. " Il paraît plus vraisemblable que la source du tableau de Paul Sérusier, Le Berger Corydon et l'arbre roux, se trouve dans l'oeuvre de Virgile, créateur du mythe. Au contraire d'un Gide, dont le controversé Corydon paraît en 1924, Sérusier célèbre la vie pastorale sans se livrer à l'éloge de l'homosexualité qu'illustre cet épisode issu des Bucoliques. L'artiste utilise le propos général du texte de Virgile pour restituer une scène à la lecture un peu ambiguë : " O cruel Alexis, tu dédaignes mes chants, tu n'es point touché de ma peine ; à la fin, tu me feras mourir. Voici l'heure où les troupeaux cherchent l'ombre et le frais ; où les vertes ronces cachent les lézards ; où Thestylis broie l'ail et le serpolet odorants, pour les moissonneurs accablés des feux dévorants de l'été. Et moi, attaché à la trace de tes pas, je n'entends plus autour de moi que les buissons qui retentissent, sous un soleil ardent, des sons rauques des cigales... " Dans ce tableau, l'artiste insiste sur le caractère rustique et fruste de la scène. Personnages massifs, arbre roux traité synthétiquement, paysage rythmé de masses simples : flèches droites des peupliers que ponctuent des buissons sphériques. La figure de Corydon est placée dans la composition selon les règles des " Saintes Mesures ", en l'occurrence ici celle du nombre d'or, qu'affectionne le nabi à la barbe rutilante qui s'est vraisemblablement portraituré sous les traits du berger. La mise de Corydon, sabots et ample manteau breton, est identique à celle de Paul Sérusier dans Tityre et Mélibée (ou L'Adieu à Gauguin, 1906, collection particulière) dont l'argument, un dialogue entre deux bergers, est tiré de la première églogue de Virgile. Dans Le Berger Corydon et l'arbre roux, le mélange ovins, bovins apparaît assez surprenant quand Virgile et Rabelais ne citent que des chèvres ou des brebis mais il faut sans doute y voir un hommage de l'artiste à sa terre d'adoption, la Bretagne. L'antagonisme des personnages est peu souligné, si ce n'est par la solitude qui habite Corydon dont Alexis se détourne. L'attitude du jeune garçon illustre bien le texte de Virgile qui insiste sur le dédain d'Alexis à l'égard du berger et des présents dont celui-ci l'entoure. Quoique relatant des amours malheureuses, cette scène inspire le recueillement et une certaine sérénité propre à l'idéal d'harmonie que recherche Sérusier dans sa peinture. L'équilibre de la composition restitue la vision d'un monde paisible, évocation de cet Age d'Or qui, à la suite de Puvis de Chavannes, envahit la peinture à la fin du XIXe siècle. Fidèle à ses principes, Sérusier utilise une palette réduite pour peindre son oeuvre. Trois grandes dominantes : le bleu pour le paletot d'Alexis, les différentes ombres portées et les arbres de l'arrière plan ; le vert pour l'ensemble des pâturages et pour éclairer les silhouettes des peupliers, enfin l'orange pour l'arbre roux. Les différents dégradés de vert sont relevés de pointes roses qui animent la surface de la toile et lui confère une plus grande luminosité. La touche, morcelée au premier plan, se fond en aplat à mesure que l'on progresse vers les lointains. La matière quoique relativement épaisse est d'un aspect sec et mat qui rappelle un peu la technique de la fresque, particulièrement chère aux yeux de Sérusier. Alliée au traitement un peu abrupt des formes, cette exécution, servie par une grande économie de moyen, confère à cette oeuvre un aspect un peu austère. Familier des compositions mythologiques, que sa profonde culture lui permet de traiter avec subtilité, Paul Sérusier donne en 1913 une autre version de la scène sous le titre Les Bergers (Guicheteau 181). De composition verticale, cette toile jouit d'un cadrage resserré sur les personnages qui sont traités selon un plus grand maniérisme. (Jean-Pierre Mélot)
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