Historique : |
A partir de 1910, Félix Vallotton s'intéresse au genre de la nature morte avec plus de constance qu'auparavant. Cette année-là, il en peint seize ce qui correspond au nombre total qu'il avait réalisé jusque là dans sa carrière. Sa Nature morte aux pommes est a priori un motif d'une robuste simplicité. Les objets représentés correspondent à l'habitude de l'artiste de n'utiliser que les choses les plus simples de son environnement pour composer ce type d'oeuvres. Contrairement aux conventions qui gouvernent le genre, Vallotton ne dispose pas les différent éléments sur une table mais sur un simple tabouret de paille tressée couvert d'un drap blanc. Il réutilisera pareille disposition en 1923 pour Nature morte : tulipes jaunes sur un tabouret (LRZ1429). La peinture, d'une sombre matité, est appliquée en fine couche, n'étaient-ce de légers empâtements sur les fruits. Pommes et bananes sont décrites avec un grand souci du détail réaliste, jusque dans les altérations qui affectent leur peau. Vue en légère plongée, éclairée obliquement de la gauche, cette nature morte qui se détache si précisément sur le fond brun uniforme, pour aussi simple qu'elle puisse paraître au premier abord, recèle pourtant des hardiesses de composition propres au style de Vallotton. Ce qui pourrait passer pour une oeuvre annonçant l'hyperréalisme se révèle être un intéressant exercice de style sur la plasticité. Félix Vallotton qui aime jouer avec notre perception de l'espace et des objets, propose dans cette toile un dialogue pertinent entre le formel et l'informel. A l'intérieur de l'assiette, les fruits sont rassemblés de manière très compacte ; dans cet ensemble coloré, l'air ne circule pas et, deux des pommes rouges s'interpénètrent à tel point qu'elles forment une masse de couleur fort éloignée du réalisme qui caractérise la plupart des fruits assemblés dans ce plat. La pomme verte est traitée avec le même souci de simplification, réduite à une sphère au modelé peu affirmé. A l'arrête vive de l'assiette et au pan de l'étoffe traitée avec un soin si particulier que l'artiste en a fermement retourné l'ourlet, s'oppose, à l'arrière plan, le drapé confus du linge. Félix Vallotton juxtapose dans cette oeuvre des éléments immédiatement reconnaissables du fait du souci mis à les peindre et des masses colorés dont le rôle est avant tout plastique, ainsi du triangle formé au centre de l'oeuvre par la pomme verte et les deux pommes rouges reliées entre elles. Ces trois fruits, assez uniformément colorés, ne présentent aucun détail qui permettent de les qualifier de pommes. C'est par association d'idée avec celles qui les jouxtent et nous montrent leur coeur, l'attache de leur queue et avec les bananes si finement décrites, que ces trois sphères colorés sont identifiées comme des fruits. L'ambiguïté demeure cependant sur les plan de la perception esthétique. Ce faisant Vallotton parvient, à l'instar de son aîné Cézanne, à démystifier ces fruits, à les débarrasser de tout contenu symbolique pour affirmer seulement leurs qualités plastiques. L'extrême dépouillement de cette oeuvre qui utilise essentiellement quelques couleurs primaires et secondaires et un joli camaïeu de blancs et gris, rappelle par sa sobriété et son souci de synthèse les simplifications hardies que Vallotton exploitait dans ses gravures sur bois. (Jean-Pierre Mélot)
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