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"Scène mi-réelle, mi-fantastique, mais avant tout d'inspiration musicale, "Le Concert" reste malgré diverses tentatives d'identification du morceau musical une oeuvre étrange et énigmatique." (Marie-Jeanne Geyer, cat. Exp. "Gustave Doré", Strasbourg, 1983) Le titre, transmis oralement, était "La Symphonie fantastique". Daniel Paquette (1975), notant la présence rare dans un orchestre de ce type d'un cymbalum, proposa de voir peut-être ici une illustration du "Requiem" de Schumann, de la "Messe des Orphéonistes" ou plus volontiers de la "Messe de Sainte-Cécile" de Gounod. Une autre lecture de cette scène avait été donnée jadis par Blanche Roosevelt (1880) qui, s'appuyant sur une anecdote rapportée par Paul Dalloz, compagnon de voyage de Doré au Tyrol durant l 'été 1861, avait intitulé ce dessin "Scène du Tyrol" : alors qu'ils participaient à une fête villageoise dans une auberge locale, "Doré, voyant quelque violonneux grattant de son instrument, se saisit du violon et commença à jouer une danse sauvage, pendant que je m'emparais d'une vieille épinette laissée dans un coin... Une vieille femme vint finalement le trouver et lui dit en grande confidence qu'elle connaissait un violon merveilleux, vieux comme les montagnes, et caché dans une caverne... Il était près de minuit lorsqu'elle revint avec l'instrument et Gustave, une fois qu'il eut mis la main dessus ne le lâcha plus de toute la nuit... je ne pense pas avoir jamais vu Gustave plus complètement heureux... " (cité par Roosevelt, p. 230). Comme le note très justement M.J. Geyer, "le rappel du cabaret, mais surtout les vêtements des musiciens avec leurs bottes à la hongroise et la présence du cymbalum, instrument populaire hongrois par excellence tendent à situer cette scène au Tyrol autrichien et à la dater alors vers 1861, année de parution du Dante. On peut y voir ainsi la réminiscence d'un événement vécu - la nuit musicale dans un cabaret tyrolien - transcendée par ce sens du fantastique qui émane de la plupart des oeuvres de Doré. Mais le caractère étrange et allégorique de la scène, avec sa juxtaposition de réalisme et de surnaturel, exprime sans doute surtout l'imaginaire et le fantastique qui, dans un sens romantique, sont inhérents à la musique et à son pouvoir (...) Cette idée romantique, à laquelle s'ajoute la présence du cymbalum hongrois, évoque bien plus Liszt que Gounod. Ami de Gustave Doré, Liszt avait composé dans les années cinquante une Symphonie pour Dante. Il est tout à fait possible que par un jeu d'associations d'idées, au moment où il était occupé à l'illustration du Dante, Doré ait ainsi lié dans une même vision l'oeuvre littéraire et son inspiration musicale." Serge Lemoine (1976) considérait pour sa part que Doré établit ici un contraste très romantique entre le cabaret avec ses passions plus ou moins grossières et la musique qui y introduit, par l'intercession de quelques pauvres artistes, les visions les plus sublimes. Selon François Baudson (1974), certains personnages, la signature même font penser à la période londonienne de l'artiste. Le dessin est dédicacé à Marcellin, caricaturiste, illustrateur et lithographe, de son vrai nom Emile Planet (1825-1887), qui travailla avec Doré au "Journal pour Rire". De leurs dessins furent tirés les "Petits Albums pour Rire", édités par Philipon vers 1853. Il semblerait toutefois que la date proposée par Marie-Jeanne Geyer (vers 1861) soit plus convaincante que celle de 1853, retenue par Serge Lemoine.
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