Historique : |
Dans un jardin en Italie, au bas d'un escalier derrière lequel se dresse un arbre, deux jeunes femmes étendent des draps sur une corde. Les dés ornés d'écus, servant de butée aux murets longeant les marches, font office de piédestaux pour statues. Celle de gauche (une femme nue drappée) s'élève encore sur un socle, tandis que celle de droite (un nu masculin?), brisée au niveau des chevilles et dont il ne reste en place que les pieds, gît sur le sol parmi les broussailles, adossée à un contrefort. Derrière le linge étendu surgit la statue d'un lion couché de style égyptien, ornement de fontaine qui crache un filet d'eau. L'évolution récente et remarquée de l'attribution de cette oeuvre célèbre doit être rappelée. Unanimement considérée, depuis le XIXe siècle, comme une peinture de Fragonard, et parmi les plus représentatives du maître, la toile a été "destituée" en 1986 par Jean-Pierre Cuzin pour être donnée, avec force arguments et conviction (1987 ; cat. exp. Rome, 1990-1991) mais prudence (1992), à Hubert Robert. Cuzin, qui estime que "Ni l'élaboration de l'espace, ni celle de la lumière, ni le type des silhouettes, ni le coup de pinceau ne sont du peintre né à Grasse" (cat. exp. Rome, 1990-1991) et qui constate l'état médiocre d'une oeuvre exécutée rapidement avec de nombreux repentirs, énumère les raisons qui le font pencher vers cette nouvelle paternité (1986) : la proportion étrange et l'instabilité des figures, la multiplicité des éléments graphiques "lancés à la pointe du pinceau" (comme les feuillages), le manque de cohérence dans le traitement de l'espace. Et Cuzin de conclure : "Il y a dans toute la toile quelque chose de désinvolte et de relâché, inhabituel chez Fragonard : celui-ci construit l'espace avec une autre autorité" (1986). Pour lui, ces caractéristiques et les charmantes négligences perceptibles dans la toile (dans les marches ou l'arbre notamment), comme l'humour incarné par le dialogue brisé entre les deux statues, sont autant de traits habituels chez Robert et désignent celui-ci comme l'auteur de la toile, même s'il avoue que cette attribution n'est "pas trop certaine" (1992). L'iconographie du tableau renvoie également à des poncifs fréquents chez Robert. Ainsi le lion, dérivé des fauves égyptiens placés au bas de l'escalier menant au Capitole, à Rome (cat. exp. Paris, Ottawa, VIenne, 1994-1995), se retrouve dans nombre d'oeuvres graphiques ou peintes de l'artiste. De même, la figure de la blanchisseuse, dont on notera qu'elle est accompagnée en France au XVIIIe siècle d'une connotation à la fois rustique et galante, est un motif extrêmement fréquent chez notre peintre. Plus généralement, cette aptitude à mêler les éléments antiques, fruits d'un passé vénérable et prestigieux, et les tâches les plus triviales de la vie quotidienne renvoie à la manière habituelle de Robert. La question délicate de la datation de cette oeuvre, finalement bien atypique, au sein du corpus de Robert a été également abordée par Cuzin. Celui-ci y reconnaît, soit un tableau "peut-être précoce (1757 ou 1758?), peint sous l'influence de l'oeuvre de Fragonard et inspiré, avec une fougue un peu désordonnée, de la manière rapide et décidée de ce dernier" (cat. exp. Rome, 1990-1991), soit au contraire une oeuvre un peu plus tardive, vers 1759-1761 (1986, p. 62). Concluons en soulignant que de telles hésitations d'attribution entre nos deux peintres n'est pas sans exemple. Jean-Pierre Cuzin a produit une étude où il aborde ce thème (1986, p. 61-62), dans laquelle il note : 'Tout laisse supposer qu'ils travaillèrent réciproquement (...). Il semble qu'il y ait eu comme un travail de va-et-vient entre Robert et Fragonard, où l'émulation, l'amusement (...) purent trouver leur part". La proximité amicale entre les deux hommes lors de leur séjour commun à Rome entre 1756 et 1761 (Robert est à Rome de 1754 à 1765 et Fragonard de 1756 à 1761), symbolisée par le portrait présumé de Robert par son compagnon (cat. exp. Rome, 1990-19 91, p. 53-54, n° 1), contribue à expliquer des convergences dans leur rendu pictural. Notice par Matthieu Pinette
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